Émission "Ça et Ça" - Thierry ARDISSON - France 2

 

14 mai 2001

 

Retranscription du texte du sujet consacré à l'Ordre du Temple Solaire.

Document réalisé dans le cadre de Politique de Vie,
sous la responsabilité de Christian COTTEN,
de Joël LABRUYÈRE et du Dr Érick DIÉTRICH.

 


Thierry ARDISSON, présentateur.

Bernard NICOLAS, journaliste à CANAL PLUS.

Alain LECLERC, avocat.

Alain VUARNET, famille de victimes.

Gisela et Willy SCHLEIMER, famille de victimes.

Patrick SÉBASTIEN, invité.

 

Thierry ARDISSON : Le procès de Michel TABACHNIK à Grenoble. "Ça" revient pour l'affaire de l'Ordre du Temple Solaire. Les familles des victimes nous diront que pour elles, il s'agit d'un procès bidon et que derrière ces suicides collectifs se cachent sans doute des assassinats en série.

Thierry ARDISSON : On passe tout de suite à l'affaire de l'Ordre du Temple Solaire revue par l'actualité à l'occasion du procès de Michel TABACHNIK à Grenoble. S'agit-il d'un procès bidon, ces suicides collectifs cachent-ils des assassinats en série ? On va en parler, mais d'abord le résumé de l'affaire en image.

Sujet vidéo.

Commentateur : Dans 42 jours, Michel TABACHNIK sera fixé sur son sort. Le procureur a requis contre lui 5 ans de prison ferme. Reportage de Carine MOURNAUD.

Poursuivi pour participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes et d'assassinats, après le massacre de 74 adeptes de l'Ordre du Temple Solaire, Michel TABACHNIK attend le verdict.

C'est en 1990 que naît l'Ordre du Temple Solaire. À sa tête, Luc JOURET et Jo DI MAMBRO, le gourou de l'organisation. Les adeptes croient en l'apocalypse et se préparent à un voyage intersidéral pour la constitution d'un monde meilleur sur la planète SIRIUS. Mais ils ne verront jamais SIRIUS. C'est la mort qui va arrêter leur voyage.

Le 4 octobre 1994, 5 personnes sont retrouvées mortes au CANADA. Le lendemain, les massacres se poursuivent en SUISSE : 23 morts à CHEIRY, 25 à SALVAN. Parmi les victimes, on découvre les corps de Jo DI MAMBRO et de Luc JOURET. Quatorze mois plus tard, l'horreur va toucher la FRANCE. Le 23 décembre 1995, 16 personnes périssent dans le VERCORS.

Mais les parties civiles refusent la thèse officielle. Pour elles, les victimes ont été assassinées, l'enquête a été bâclée.

Alain LECLERC, avocat d'Alain VUARNET et de M. et Me SCHLEIMER : On ne regarde pas tous les éléments apportés par les parties civiles tant au sein de l'instruction qu'en dehors de l'instruction et on essaie de balayer d'un revers de main tous les éléments factuels qui montrent bien qu'il y a eu intervention de l'extérieur.

Fin du sujet vidéo.

Thierry ARDISSON : Voilà. merci. Avec nous, Bernard NICOLAS. Donc, vous avez longtemps traité les affaires d'investigation à TF1. Aujourd'hui, vous êtes à CANAL, dans l'équipe de "90 minutes". Vous avez écrit des bouquins sur l'Ordre du Temple Solaire : "Les secrets d'une manipulation" chez FLAMMARION, "Les chevaliers de la mort" à TF1 Éditions sur les massacres en SUISSE.

Bernard NICOLAS : Oui.

Thierry ARDISSON : Alors, au départ, l'Ordre du Temple Solaire est issu d'une secte franc-maçonne, non ?

Bernard NICOLAS : Oui. Au départ, on a découvert au fil de l'enquête qu'il y avait effectivement des liens avec ce qu'on pourrait appeler la tradition de la franc- maçonnerie ; tout le monde a plus ou moins puisé là-dedans depuis toujours dans le domaine sectaire ; et en l'occurrence, on a un peu l'impression qu'il y a là un mélange à la fois de traditions franc-maçonnes et de traditions templières ; on se revendique des templiers du 12ème et 13ème siècles, 13ème et 14ème siècles, pardon, et en l'occurrence, dans l'immédiat après-guerre, ces mouvements sont réapparus. Il y avait un nouveau combat, une nouvelle croisade contre les communistes à l'époque et ces mouvements Templiers ont proliféré en France. On en a compté jusqu'à une centaine.

Thierry ARDISSON : Ces mouvements ultra qui au départ luttaient effectivement contre le communisme, comme vous le dites, aujourd'hui le communisme a disparu en tant que puissance. depuis la chute de URSS en 1989, aujourd'hui c'est contre l'islam mais c'est toujours la même idéologie très ultra ?

Bernard NICOLAS : Oui, tout à fait. Lors d'une enquête, on avait pu s'infiltrer, entre guillemets, dans un mouvement qui s'appelait l'Ordre des Templiers, dans la région d'Avignon, pas très loin de là où était installé l'Ordre du Temple Solaire. Et on s'était aperçu qu'effectivement le discours tenu était un discours extrêmement dangereux, les gens dans ce groupe apprenaient le maniement des armes, on leur demandait de repérer tous les Arabes de leur quartier. Moi j'étais assez effaré d'entendre ça, parce qu'on avait un micro caché dans la salle de leur rituel.

Dans la mesure où c'était après les événements du Temple Solaire, ils ne portaient plus la cape de peur que les policiers leur tombent dessus ; à ce moment-là ils auraient dit que c'est un dîner entre amis, mais c'était un dîner où on parlait de choses étranges et extrêmement dangereuses. Et nous avons tenu à diffuser cela car c'était à notre avis très très parlant.

Thierry ARDISSON : Alors, le maître de l'Ordre du Temple Solaire, Joseph DI MAMBRO, il a une double vie évidente. Tout d'abord, c'est le patron de cette secte mais en dehors de ça c'est un escroc de haut vol qui a mené des activités parallèles extrêmement plus lucratives, d'une certaine façon.

Bernard NICOLAS : Oui, tout à fait, dans les années 70, il avait déjà été condamné pour escroquerie.

Thierry ARDISSON : Il avait 5 passeports...

Bernard NICOLAS : Il avait 5 passeports.

Thierry ARDISSON : Lié à la mafia, on avait dit...

Bernard NICOLAS : En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il était surveillé par toutes les polices du monde, partout où il passait on le surveillait. Nous avons pu lire des notes de service de renseignement où il était qualifié de blanchisseur de devises...

Thierry ARDISSON : Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que Luc JOURET et Joseph DI MAMBRO sont morts, donc les deux ont disparu mais on pense qu'il y a toujours des supérieurs au-dessus, puisque l'association n'a pas été dissoute.

Bernard NICOLAS : Non, tout à fait, de toutes façons, l'association n'a pas été dissoute et il est évident, avec ce que l'on a dit précédemment de l'origine de ces mouvements-là, qu'un mouvement comme l'OTS ne pouvait pas exister seul. Et il y a à notre avis - mais on est pas les seuls à partager cette opinion-là - il y a une sorte de galaxie de mouvements templiers qui ont poussé à l'époque tous dans le même sens, c’est-à-dire dans la lutte anticommuniste, qui perdurent encore aujourd'hui. Et on pense évidemment que Jo DI MAMBRO et Luc JOURET, à l'insu de leurs adeptes, avaient certainement des supérieurs, des gens pour lesquels ils travaillaient, pour lesquels ils blanchissaient, pourquoi pas.

Thierry ARDISSON : Bien, on va parler de tout cela avec des gens qui sont directement mêlés à l'affaire, j'accueille Alain VUARNET, Gisèla et Willy SCHLEIMER.

Thierry ARDISSON : Bonsoir. Alain VUARNET, vous avez 39 ans, vous êtes marié sans enfant, vous vivez à GENÈVE, vous êtes le président de la SA Jean VUARNET. Vous êtes le fils de Jean VUARNET, champion de ski très titré de 57 à 60 ; votre mère aussi a eu beaucoup de succès dans ski, Édith BONLIEU ; elle a fait partie de l'OTS et elle est décédée à 61 ans dans le drame du VERCORS le 15 décembre 95 ; vous aviez un frère qui était aussi dans l'OTS, Patrick. Il était assez haut placé, cape dorée ?

Alain VUARNET : Cape dorée, en effet.

Thierry ARDISSON : Et il vivait avec la fille de Willy et Gisela SCHLEIMER, qui s'appelle Ute Verona.

Gisèla SCHLEIMER :  Oui, elle est morte avec sa fille qui avait 6 ans, Tania ; ils ont cassé leurs mâchoires et puis la petite, ils l'ont tué avec une balle dans la tête et puis ils ont donné beaucoup de médicaments.

Thierry ARDISSON : Alors, ce qui assez surprenant dans toute cette histoire, c'est comment des gens disons, en bonne santé mentale, peuvent devenir aussi naïfs pour croire des choses comme ça ; comment par exemple on peut croire que Michel TABACHNIK possède l'alphabet Sirusien qui lui permet de rentrer en contact avec la planète Sirius, comment c'est possible ça ?

Alain VUARNET : Ça ne se passe pas automatiquement et directement comme ça, si vous voulez, il y a des cycles ; d'abord on a affaire à des grands recruteurs, à des grands marketeurs ; ce sont des gens qui arrivent à percevoir la faiblesse d'une femme, d'un homme ou d'un jeune ; à un moment donné dans sa vie, vous pouvez tout d'un coup perdre votre boulot ou divorcer, vous avez un membre de votre famille qui décède, peu importe comment, vous n'êtes pas bien et puis là, par hasard, vous rencontrez un Luc JOURET qui fait un genre de reportage sur le bio, sur l'hygiène, sur le fonctionnement de la vie ; et puis vous vous y intéressez parce que, finalement, il n'y a pas plus noble comme sujet ; et puis au fur et à mesure du temps comme ça vous êtes happé ; dans un premier temps il y a le morceau d'iceberg qui se voit et puis plus ça va plus vous rencontrez les gens de la secte, les leaders. Et après, il y a la 2ème étape.

La 2ème étape, c'est vraiment celle de flatter la personne, de lui faire croire qu'elle est une personne vraiment unique, qu'elle est brillante, qu'elle a du charisme, éventuellement même, des dons. C'est ce qu'on a dû faire croire à Patrick, qui était en quête d'un peu de reconnaissance ; de voir toute sa vie son père médaillé d'or, capé alors pour le coup, sur le sens ironique du terme, c'est difficile. Et je reviens aux recruteurs, je crois qu'ils décèlent très bien cette faiblesse. Ma mère a eu certainement, à un moment donné, un vide de foi, elle était très religieuse à l'époque, elle ne l'a pas été pendant toute sa vie, elle était en quête aussi de spiritualité, elle a toujours été intéressée par le bio, la défense de la planète, finalement quoi de plus noble, ces sujets-là ? Voilà comment ça se passe, un recrutement.

Thierry ARDISSON : Est-ce que pour votre fille c'était le cas aussi ? Dans quelle situation psychologique elle était quand elle a été recrutée par la secte ?

Gisela SCHLEIMER : Ma fille elle est rentrée à cause de l'accident de son mari. Le mari était paralysé et puis elle cherchait les médecines douces ; et il y a une ancienne collègue de travail qui connaissait déjà Luc JOURET et elle l'a prise avec dans un séminaire et comme ça elle est rentrée.

Thierry ARDISSON : Une fois qu'on est dans la secte, après, on vous réveille en pleine nuit, on vous donne un régime alimentaire spécial, ce qui fait que finalement on vous affaiblit d'une certaine façon.

Bernard NICOLAS : Oui. En réalité votre vie commence à l'entrée dans la secte, il faut oublier son passé, on vous fait comprendre assez rapidement que votre bien-être c'est là, que votre nouvelle famille est là, il faut oublier l'ancienne ; et ainsi pion par pion, tous les jours, le jeu va avancer, jusqu'à vous coincer, vous phagocyter comme on dit ; et vous allez faire partie d'un groupe, alors là, pour le coup, le terme de pensée unique n'est pas galvaudé.

Thierry ARDISSON : Et puis aussi, il y avait aussi les hologrammes, des artifices, de façon à faire croire à des apparitions, c'était le cas ?

Alain VUARNET : Oui. Je crois que de toutes façons tous les mots employés pour séduire ces pauvres gens qui ont été manipulés, endoctrinés, tous les artifices, je vous dis, c'est des grands marketeurs, quoi, moi, je le dis souvent ironiquement, si je les avais dans ma force de vente, je serais multimilliardaire.

Thierry ARDISSON : Oui. Enfin, alors il y a beaucoup de zones d'ombre dans cette affaire ; il y a eu un procès à GRENOBLE, le procès de Michel TABACHNIK, qui a eu lieu ; on va essayer de les évoquer ensemble ; avant on va voir un sujet magnéto.

Reportage de Carine MOURNAUD

Commentateur : Assassinat ou suicide ? Des zones d'ombre subsistent, la justice française s'est-elle donnée tous les moyens de faire la lumière sur cette affaire ?

Première énigme : la carbonisation des corps. Une contre-expertise, effectuée à la demande des parties civiles, remet sérieusement en cause les conclusions du juge.

Gilbert LAVOUÉ, expert incendie : Pour brûler des corps avec des branchages, il faut à peu près 1 mètre cube de branchages par individu, si vous voulez. Or, je n'ai jamais vu ni sur aucune photo ni dans les comptes-rendus que les corps soient recouverts de cendres. Ce n'est pas ni 40 ni 60 litres d'essence déversés sur 16 cadavres qui vont pouvoir amener ce degré de destruction partielle des corps. Comme on sait qu'il n'y a pas de bois parce qu'il n'y a pas de cendres, il faut donc quelque chose.

Commentateur : Et ce quelque chose, c'est un produit combustible dont personne n'a parlé durant l'enquête, du phosphore.

En image, texte de l'expertise, surligné : Deux fois plus de phosphore, ce qui est assez considérable.

Gilbert LAVOUÉ : Moi, ce que je propose compte tenu de la présence de phosphore, c'est le lance-flammes.

Commentateur : Et un lance-flammes, cela signifie une intervention extérieure ; une hypothèse qui contredit la version officielle du suicide collectif ; mais le procès n'a pas retenu l'argument. Pourquoi ?

Deuxième piste négligée par l'instruction : celle de Patrick ROSTAN et Jean-Pierre LARDANCHET, 2 inspecteurs de la police judiciaire retrouvés morts dans le massacre du VERCORS. Quel rôle ont-ils joué au sein de la secte ?

L'homme qui leur servait de chauffeur a été entendu pendant le procès. Ses révélations n'ont pas intéressé le tribunal. Ce qu'il dit est pourtant stupéfiant.

MEHMET : J'ai amené Patrick ROSTAN au coin de la rue Ramey, je l'ai attendu dans ce café-là 3/4 heures.

Commentateur : Et comme par hasard, à quelques mètres de ce café, au 41 de la rue Ramey, habitait Michel TABACHNIK. Qu'allait y faire Patrick ROSTAN ? La question reste sans réponse. Mais ce n'est pas tout : entre les massacres de SUISSE et du VERCORS, le chauffeur accompagne à 3 reprises LARDANCHET au MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

MEHMET : C'est après le deuxième massacre que j'ai amené Jean-Pierre LARDANCHET au MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

Commentateur : Pourquoi LARDANCHET alors simple inspecteur s'est-il rendu à plusieurs reprises au MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ? Qui le couvrait et pourquoi ? Personne n'a cherché à le savoir.

Mai 94. Le chauffeur accompagne ROSTAN à l'aéroport d'Orly. Tous deux viennent réceptionner LARDANCHET et de mystérieux porteurs de valise.

MEHMET : Je lui ai dit, c'est combien le montant de cette somme ? Il m'a dit qu'il y avait à peu près 90 millions de dollars. Jean-Pierre LARDANCHET, c'était un policier ; avec sa carte de police, c'était plus facile de faire passer la douane au monsieur ; Jean-Pierre LARDANCHET a récupéré le monsieur, ils ont pris un taxi et ils sont partis.

Commentateur : Cet argent n'est pas virtuel. Quelques mois plus tôt, le gourou de la secte, Jo DI MAMBRO, aurait opéré un transfert de 340 millions de francs entre lla SUISSE et l'AUSTRALIE. L'OTS servait-il à blanchir de l'argent ? Une fois encore l'enquête française a ignoré la piste financière alors qu'elle disposait de documents troublants.

Nouveau mystère : l'attitude étrange de l'avocat de M. et Mme SCHLEIMER qui ont perdu leur fille et leur petite-fille dans le drame du VERCORS. Quinze jours avant le procès, l'avocat confirme dans une lettre à ses clients qu'il ne s'agit pas d'un assassinat en vase clos et qu'il défendra l'hypothèse d'une intervention extérieure. Mais, coup de théâtre, à l'ouverture du procès, l'avocat se range du côté de la thèse officielle. Un revirement qu'il a visiblement du mal à justifier.

Courrier à l'écran, de Maître VUILLEMIN à la famille SCHLEIMER, surligné : « il ne s'agit pas d'un assassinat en vase clos... plusieurs éléments prouvent cette intervention extérieure ».

Interview de Maître Francis VUILLEMIN.

Journaliste : Tout cela est très troublant. Je vous donne la lettre.

Maître Francis VUILLEMIN : Attendez, attendez... Est-ce que vous pouvez... ? Je vais répondre à votre question mais il faut que je vous parle... il faut que je vous parle off ; c'est off, c'est sûr ? Bon, attendez, je vais vous dire pourquoi, mais je sais, cette lettre, il l'a distribuée partout... Est-ce que j'ai la garantie que... (Journaliste : Non, on continue... on est le 2 avril...). Écoutez Madame,  je vous dis, les règles de l'Ordre des Avocats - et mon confrère avocat sait de quoi je parle - m'imposent la confidentialité sur cette affaire, je ne peux pas répondre à vos questions.

Commentateur : Trois semaines après la clôture du procès, toutes ces questions restent étrangement sans réponse. Les parties civiles dénoncent les carences d'un procès en sorcellerie qui n'a pas répondu à leur principale interrogation : comment et par qui ont été assassinés les membres de leur famille ?

Fin du reportage.

Thierry ARDISSON : Beaucoup de zones d'ombres, on vient de le voir dans cette histoire. C'est incroyable : d'abord l'absence de témoin la nuit du drame et puis la crémation des corps, le phosphore. C'est vous qui avez demandé qu'on étudie ça ?

Alain VUARNET : Oui. Si vous voulez, il faut revenir un petit peu en arrière. Pendant un an et demi, moi, j'estime que le juge FONTAINE, le juge instructeur, avait bien fait son boulot ; il l'a fait d'ailleurs sur la thèse du suicide collectif, ce qui était logique, puisque cette secte prônait un petit peu l'idée de l'apocalypse, qu'on n’avait plus rien à faire sur cette terre, pour reprendre leurs mots, il fallait « transiter ».

Puis il y a eu une cassure dans l'attitude du juge, au bout d'un an et demi, vers 97, ainsi que de son enquêteur, certains experts, qui finalement, tout d'un coup...  Alors il y a des gens qui disent aujourd'hui que le juge FONTAINE et ses experts, et son enquêteur, ont travaillé pendant 4 ans et demi - mais pas du tout - ils ont travaillé bien pendant un an et demi, uniquement sur la thèse du suicide collectif.

Et ensuite ils ont fait la propagande auprès des parties civiles pour leur expliquer que non seulement il ne fallait pas se placer en tant que partie civile mais qu'en plus de ça on avait tout intérêt à croire cette thèse du suicide collectif.

Et c'est là qu'il y a une rupture qui se passe. Et à un moment donné, grâce à un avocat qui est quasiment isolé, qui concerne à la fin toutes les familles qui ont eu un problème avec le VERCORS, les 16 morts dans le VERCORS en France, travaille sur l'aspect du crime perpétré par l'extérieur. Et là, c'est comme le grain de sable, cet avocat et ses clients sont le grain de sable de cette mécanique qui a priori était bien huilée au début et qui tout d'un coup se dessèche.

Et alors là, après un an et demi, le juge FONTAINE ainsi que tous ses experts et

enquêteurs passent leur temps à essayer de débouter les compléments d'information que l'on pose et qu'on nous refuse à tous les coups parce que justement ils auraient pu porter la lumière sur la thèse du crime perpétré par l'extérieur.

Thierry ARDISSON : On a trouvé du phosphore sur place, ce qui voudrait dire que, finalement, il y a eu utilisation de lance-flammes.

Alain VUARNET : Oui. Et je pense qu'il y a eu une mise en scène. Vous savez, je crois vraiment qu'on a affaire à une secte avec toute la manipulation, le côté endoctrinement, tous ces pauvres gens qui croyaient en un monde meilleur etc.

Et je crois que cette secte-là était en fait une sorte de cheval de Troie pour une autre organisation, crapuleuse ; tous les registres du malfrat existent dans cette secte, je veux dire c'est le trafic d'armes, c'est le blanchiment d'argent pour des partis politiques, c'est tout ce que vous pouvez... La magouille immobilière, on n’imagine pas... Et à la fin il y a des fonctionnaires de police qui sont morts là-dedans.

Quand on demande au juge FONTAINE d'interpeller en tant que témoin la tutelle de M. LARDANCHET, le policier qui aurait tué donc ces 14 personnes avant de se tuer lui-même, le juge FONTAINE nous répond : ce n'est pas intéressant. Alors que nous on aurait bien voulu connaître, éventuellement, la mission originelle de ce policier qui aurait pu être celle d'infiltrer. Je vous rappelle quand même que ce monsieur est mort avec sa femme et ses enfants le 16 au soir : et ça n'intéresse pas, ça n'intéresse pas le juge FONTAINE. C'est fou !

Thierry ARDISSON : Le juge a toujours refusé les investigations hors secte, il s'en est tenu à la secte proprement dite, il a refusé qu'il y ait assassinat.

Alain VUARNET : Voilà, nous on est arrivé ; d'abord on ne voulait pas ce procès, parce que je considère qu'un bon procès illustre une bonne enquête et une bonne instruction. Dès lors où il y a eu contradiction, incohérence, manquement dans l'instruction, vous ne pouvez avoir qu'un mauvais procès.

Nous, on arrive le 17 avril et on dit stop, d'abord on veut un procès pas en correctionnelle mais aux assises, il y a quand même 74 morts ; et puis ensuite on veut l'ouverture de l'instruction pour nouveau complément d'information. On nous le refuse. Qu'est ce qu'on fait ? On reste ou on ne reste pas ? On reste parce que moi, moi je me sens vivant dans la vie quand je me bats, quand j'ai mon armure dans le bon sens du terme. Un guerrier, je suis devenu un guerrier de la vie et je me sens vraiment vivant quand je me bats et là je pense qu'il fallait, il était de mon devoir de dénoncer tout au long du procès alors qu'on était hors sujet finalement.

Les gens étaient intéressés par un homme, par un chef d'accusation qui était association de malfaiteur et comme vous l'avez dit très bien vous-même tout à l'heure, c'est un procès qui a fait rétrograder la justice de plusieurs siècles en arrière parce qu'on a fait le procès des idées ; même si elles sont folles, on a fait le procès des mots, des chimères et de la sorcellerie.

Et moi je ne cautionne pas cette justice-là, qui n'a pas fait le lien, si vous voulez, entre ce chef d'accusation, un homme éventuellement qui a quelque chose à se reprocher et un fait.

Quid des faits? Tout le monde se fout des circonstances dans lesquelles ces gens sont morts. Donc moi...

Patrick SÉBASTIEN : Si c'est un assassinat, est-ce que vous avez une idée du but ? C'est pas tuer pour tuer.

Alain VUARNET : Oui, c'est vrai, c'est vrai... Je pense que c'est l'argent, je pense que l'homme, quand il déconne, c'est quand il magouille avec l'argent. Je pense qu'il n'y a pas mieux que la secte, qu'une association pour utiliser ces gens, pour blanchir de l'argent à des fins crapuleuses ; le registre est large. Et je pense qu'ils ont mis en scène l'idéologie apocalyptique de cette secte jusqu'au bout pour finalement attirer l'attention des médias, de l'opinion publique, de la justice vers une thèse de suicide collectif et afin d'éviter qu'on s'intéresse finalement à un lieu...

Patrick SÉBASTIEN : C'est peut-être simplement un règlement de compte entre deux personnes, mis en scène.

Alain VUARNET : Allez savoir, allez savoir.

Thierry ARDISSON : Les 491 millions de francs versés sur le compte de l'OTS en AUSTRALIE... le juge FONTAINE a quand même fait ça, c'est à dire qu'il a demandé à l'AUSTRALIE de lui répondre d'où vient cet argent ; mais ils n'ont jamais voulu répondre.

Alain VUARNET : C'est vrai, on peut le lui accorder mais j'y crois pas, je mords pas à l'hameçon. Quand on a dit, en complément d'information, veuillez nommer un expert judiciaire financier pour essayer d'évaluer le patrimoine et les magouilles de l'OTS, il nous a dit que ça ne l'intéressait pas.

Et lorsqu'on lui a mis copie de la feuille où on parlait des 93 millions de dollars, vous pouvez le lire vous-même dans l'ordonnance, il dit qu'on a affaire certainement à l'année 1993 et à 100 000 dollars, parce que le vrai chiffre, c'est 93 millions 200 mille dollars.

Je crois que, franchement, je vais faire un peu d'ironie, mais il y a plusieurs chefs d'orchestre dans cette histoire : il y a TABACHNIK et puis il y a la justice ; et je me demande quel est le meilleur d'entre les deux.

Thierry ARDISSON :  Vous pensez que la justice pourrait être manipulée par les supérieurs de Luc JOURET et de Joseph DI MAMBRO ?

Alain VUARNET : Il n'y a pas plus facile de faire une obstruction dans l'instruction, déjà dans un premier temps en ne donnant pas de moyens à un juge. Vous avez des histoires aujourd'hui où il y a trois juges de nommés et il y a pas de morts. Pourquoi nous, on a 74 morts et on n'a qu'un juge à GRENOBLE ? Il peut être très bon, le juge FONTAINE, mais tout seul, dépassé, sans argent, c'est déjà en soi une obstruction à l'instruction.

Thierry ARDISSON : Gisèla SCHLEIMER, vous partagez la même idée qu'Alain VUARNET ?

Gisela SCHLEIMER : Oui, je suis de la même opinion.

Thierry ARDISSON : Vous pensez que la justice a été manipulée dans cette affaire ?

Gisèla SCHLEIMER : Je dis oui. Peut-être pas la justice mais les...

Willy SCHLEIMER (traduction de l'allemand).

Ce sont les juristes qui ont été manipulés, la justice ce sont des règles et si l'on vit selon ces règles on peut vivre très bien. La première justice, ce sont les 10 commandements et si on s'en tient à ces 10 commandements tout marche très bien. Mais la justice, elle est menée et conduite et dirigée par des hommes. Et malheureu-sement, les hommes, eux, sont fragiles et on peut les convaincre de plein de choses. Et c'est ce qui fait que pour nous les choses sont ce qu'elles sont aujourd'hui. Et c'est ce qui fait qu'aujourd'hui nous ne pouvons pas accepter la situation, c'est impossible ; lorsqu'on a plus de 2 balles dans la tête, une balle dans le cœur, on ne peut pas parler d'un suicide.

Et lorsqu'on voit ça arriver  14 fois de suite, on ne peut pas dire que c'est un suicide. On a fait une fixation sur un suicide, on a dit que c'était un suicide, parce que c'est comme ça qu'on voulait voir les choses, si on regarde les choses de très près... Là, je dois vraiment dire les choses dans ma langue maternelle...

Lorsque l'on nous a demandé d'écouter ce que le juge FONTAINE avait obtenu comme résultat d'enquête jusqu'ici, on a été convoqué devant toute une série d'experts. La première chose qu'on nous a dit, c'est que l'on avait déplacé les corps pour voir s'il n'y avait pas dessous des mines. À mon avis, les mines, on ne va pas les acheter au supermarché, on ne peut pas non plus les acheter à la pharmacie, c'est pas possible.

Donc, là, ça a quand même éveillé des doutes ; ensuite on nous a expliqué que ce qu'ils avaient pris comme médicaments, ce sont des médicaments qui n'existent plus, qui ne sont plus en cours... Ils n'auraient pas pu fonctionner avec ces médicaments, les enfants seraient tombés sur place s'ils avaient eu ces médicaments dans le corps, s'ils avaient dû marcher avec ça. On nous a dit...

Après on a parlé de traces dans la neige, mais personne n'a dit si ces traces montaient ou si elles descendaient. Moi, j'ai repris ce chemin, c'est impossible de faire ce chemin si on a pris des médicaments avant. C'est pour ça que, dès le départ, j'ai dit, moi, je suis tout à fait opposé à ce que l'on parle de suicide, ça ne peut pas être un suicide, ça n'a rien été d'autre qu'un assassinat, une exécution pure et simple.

Thierry ARDISSON : Alors maintenant, la suite. Qu'est ce qui va se passer maintenant ? Parce que, le 25 juin le verdict sera prononcé pour Michel TABACHNIK. Il risque... pas beaucoup d'ailleurs. 5 ans de prison ferme, quand on voit ce qui s'est passé, finalement c'est pas énorme, c'est même rien du tout. Qu'est ce que vous allez faire ?

Alain VUARNET : D'abord je voudrais revenir sur Michel TABACHNIK. Vous avez peut-être entendu dire, nous, on a demandé la relaxe, ça peut être étonnant pour l'opinion publique. Finalement, on a, tiens, en désespoir de cause, on a quelqu'un dans le banc des accusés, allez, à l'unisson, on tire à boulet rouge dessus et puis on essaie de l'accuser en prétendant que ses idées, ses passions, aussi folles qu'elles soient et elles m'écœurent, mais ce que je veux dire, c'est que je ne cautionne pas cette justice qui, finalement, a décidé, parce que c'est trop commode pour tout le monde, de jeter en prison, que ce soit un jour, un an ou cinq ans, une personne qui, par ses idées, a amené  des gens au suicide collectif.

Lorsqu'on voit toutes les lacunes qu'il y a eu sur la procédure judiciaire, je n'accepte pas ça, c'est tout.

Maintenant je dis, quid d'un Michel TABACHNIK, et je n'en sais rien, franchement. Mais je fais l'hypothèse... dans un banc d'accusé où l'on est pas en correctionnelle mais aux assises, quand on a eu un procès avec en amont une bonne instruction qui a fait la lumière sur tous les points, auxquels aujourd'hui, nous, on dénonce les incohérences, les contradictions et les manquements, attendez, c'est peut-être pas 5 ans qu'il va prendre TABACHNIK, s'il a quelque chose à se reprocher, c'est peut-être 25 ; donc faut comprendre un petit peu pourquoi nous on s'est dit... Alors vous me demandez, qu'est ce qui va se passer ?

Thierry ARDISSON : Qu'est ce que vous allez faire ?

Alain VUARNET :  Moi, je vais vous dire, je pense que la justice va sanctionner TABACHNIK parce qu'elle a besoin de clore le débat. Si elle ne sanctionne pas, que ce soit 1 an avec du sursis, 4 ans, 5 ans, elle va laisser finalement une sorte de légitimité dans l'atmosphère aux parties civiles de faire appel et de rebondir pour demander un complément d'instruction. Moi, je pense qu'ils ont besoin d'une sanction, je pense que la justice en France sur le plan des sectes, l'endoctrinement, la manipulation, a un vide juridique et qu'elle veut prendre en repère ce grand procès avec un accusé pour combler ce vide juridique. Je pense que la politique se régalera de dire combien ils ont fait leur rôle d'information auprès du citoyen français etc. sur la dangerosité des sectes en général, c'est commode pour tout le monde... Je n'accepte pas ça.

Patrick SÉBASTIEN : C'est quand même à première vue, quoi qu’il en soit, c'est quand même un assassinat, dans les deux cas.

Alain VUARNET : Oui, vous avez raison.

Patrick SÉBASTIEN :  Je crois que c'est un assassinat de toutes façons dans les deux cas.

Alain VUARNET : Mais c'est cette définition-là qui est un compromis pour moi vu ce que j'ai vécu à travers la justice, je n'accepte pas, si vous voulez.

Patrick SÉBASTIEN : Vu le bourrage de crâne, vue la manière dont on l'a mené, de toutes façons, c'est un assassinat et de toutes façons il y a des responsables.

Alain VUARNET : Tout à fait, ne serait ce que pour les enfants.   

Thierry ARDISSON : Merci.

 

 

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