Un excellent texte, très pédagogique, pour comprendre l'enjeu d'une reprise en main politique de la Banque Européenne et une base argumentaire pour dire NON au projet de Traité Constitutionnel dit "Constitution Giscard".
Sauver l'Europe du déclin : l'installation
d'une politique monétaire active est urgente en Euroland
Transmis à Politique de Vie en octobre 2003 par un de nos correspondants.
extrait
du site Chômage et Monnaie
http://www.chomage-et-monnaie.org/Dossiers.html
Le retour à la prospérité en Europe et, par
voie de conséquence la diminution du chômage, sont dans une très
large mesure conditionnés par une assouplissement des contraintes imposées
par le traité de Maastricht, contraintes qui ne permettent pas la conduite
d'une politique monétaire et budgétaire plus active, génératrice
de relance économique. Explicitons-en les raisons et inspirons-nous de
l'exemple américain pour formuler nos propositions.
I - Les contraintes imposées à l'Union
européenne
Le pacte de stabilité
Comme l'a récemment souligné Romano Prodi, président de
la Commission Européenne, le pacte de stabilité est une erreur
dans la conjoncture actuelle. Face à la modestie relative de la demande
des ménages, moins enclins à dépenser face à la
résurgence du chômage et, d'autre part, au repli de l'inves-tissement
des entreprises devant l'incertitude de la demande, il ne reste plus guère
que la dépense publique pour doper l'activité. Or, sa diminution
imposée par le pacte a pour conséquence d'accroître le marasme,
d'alimenter le chômage de masse et, de plus, d'obérer le long terme,
car, dans les circons-tances de rigueur budgétaire, les dépenses
publiques d'inves-tissement, d'éducation et de re-cherche sont classiquement
les premières à être rognées ou sacrifiées.
Le difficile financement des dépenses publiques ou privées
d'investissements à long terme
Aujourd'hui (début 2003) le ratio public d'endettement de l'Euro-land
dans son ensemble est voisin de 70% du PIB. Sans aucun espoir raisonnable de
réduction de ce chiffre au niveau de référence exigée
de 60% par Maastricht et Amsterdam, il n'existe donc aucune possibilité
d'augmenter le niveau des emprunts publics, d'autant que 5% d'intérêts
sur une dette elle même plafonnée à 60% du PIB génère
déjà une charge annuelle de 3% du PIB, limite autorisée
mais déjà dépassée. En conséquence, les investissement
d'équipements fondamentaux à rentabilité lente, et pourtant
piliers de l'économie à long terme, souffrent d'une aide publique
insuffisante lorsqu'elle est nécessaire et, de surcroît, sont handicapés
par des taux d'intérêts réels trop élevés.
Tout autre était la période des 30 glorieuses où la plupart
des investissements financés par emprunt supportaient alors, et pratiquement
sur toute la durée de leur amortissement, un taux d'intérêt
réel négatif, une fois défalquée des taux nominaux
l'incidence de l'inflation.
Conséquences actuelles : investissements publics ou privés de
long terme en retard, recherche scientifique sans moyens suffisants, politique
de diversification énergétique impuissante à relever le
défi de l'effet de serre, logements trop chers ou trop rares et mal desservis,
insuffisance des liaisons routières transversales, voies navigables délaissées,
grosses difficultés de financement des tunnels transfrontaliers, emballement
de la dette publique et privée que l'inflation n'éponge plus.
La mission trop restrictive de la Banque Centrale Européenne
La BCE a essentiellement pour mission la stabilité des prix,
comme si la politique monétaire dont elle est la gardienne n'avait pas
aussi une influence déterminante sur l'activité économique.
Il en résulte une absence de mesures favorables à la croissance
comme le soulignait James Tobin prix Nobel d'économie dans une interview
au journal Der Spiegel du 3 novem-bre 2001. Il disait à ce propos : "Si
l'économie européenne n'est pas en bonne forme, la Banque centrale
européenne porte la responsabilité de cette situation, parce qu'elle
ne poursuit pas une politique à l'image de la Banque Centrale Américaine,
la FED".
II - L'exemple américain
La mission de la FED
Elle est double car elle est non seulement responsable de la stabilité des prix mais aussi de la promotion de l'activité économique
et de l'emploi. Cela lui offre la possibilité de mener une politique
monétaire active qui n'est pas étrangère aux taux de croissance
de l'économie américaine.
Les modes d'intervention de la FED
La FED joue évidemment sur les taux d'intérêt, comme la
BCE d'ailleurs, mais avec beaucoup plus d'amplitude. En outre, et ceci est essentiel,
elle procède à la régulation de la masse monétaire
par l'acquisition ou la vente de titres d'Etat (politique dite de l'open market).
C'est ainsi que lorsqu'elle veut relancer l'économie elle achète
des titres et émet la monnaie pour les payer, ce qui a pour triple conséquence
:
- d'accroître la masse monétaire et ainsi de faire augmenter l'activité ;
- de faire monter le cours des titres achetés et donc de peser à la baisse sur les taux d'intérêts à moyen et long terme ;
- d'apporter à point nommé un supplément de ressources au budget fédéral pour refinancement (sans frais) de sa dette.
Le tableau qui suit donne le reflet de ce mécanisme sur douze ans :
Année | 90 |
91 |
92 |
93 |
94 |
95 |
96 |
97 |
98 |
99 |
00 |
01 |
Titres d'Etat achetés en net dans l'année (1)(2) |
24,1 | 28,7 | 20,6 | 40,8 | 29,0 | 15,9 | 20,0 | 42,5 | 25,6 | 136,1 | -63,7 | 46,7 |
Total des titres d'Etat détenus par la FED au 1 décembre (1) |
247,8 | 276,5 | 297,1 | 337,9 | 366,9 | 382,8 | 402,8 | 445,3 | 470,9 | 607,0 | 543,3 | 590,0 |
Monnaie totale en circulation (M1) (3) |
833 | 899 | 1028 | 1137 | 1166 | 1148 | 1096 | 1083 | 1107 | 1100 | 1105 | 1130 |
Proportion Total des titres M1 (4) |
30% | 31% | 29% | 30% | 31% | 33% | 38% | 41% | 43% | 55% | 49% | 52% |
(milliards de dollars)
(1) Chiffres extraits des bilans annuels de la FED.
(2) Notons que les titres d'Etat achetés directement par la FED n'augmentent
pas la charge de la dette du Trésor américain. En effet, les intérêts
en principe dus par le Trésor à la FED sont annulés par
des écritures inverses. L'opération revient en définitive
à de la création monétaire directe ou "hors banque"
opérée par la FED et remise au Trésor, au rythme apprécié
comme convenable par le comité de l'open market.
(3) Moyennes annuelles approchées d'après statistiques mensuelles
historiques de la FED.
(4) Chiffres arrondis au pour cent près. Notons :
- l'importance de cette proportion et la signification marquée de ses
valeurs en 99, 2000, 2001,
- sa tendance moyenne à croître fortement depuis 1994 et à
dépasser 50% à partir de 99.
Les conséquences sur l'économie des Etats-Unis
En disposant de deux leviers, le niveau des taux d'intérêts à
court terme et une composante de la masse monétaire (la monnaie créée
directement), la FED est ainsi armée pour réguler l'activité
économique, pourtant historiquement à caractère fort instable
aux Etats-Unis. C'est ainsi que lorsque Alan Greenspan prend la main en 91,
il réalise parallèlement de début 91 à fin 94 :
- une augmentation de la masse monétaire M1 de l'ordre de 40% sur 4 ans de début 91à fin 94, de 36,5% sur 3 ans de début 91 à fin 93 ;
- un abaissement des taux longs de 8,6% à 5 % sur cette dernière période avec cependant une remontée à 8% le 1er semestre 94.
L'économie
américaine s'élance alors dans l'expansion et la réduction
du chômage. La confiance s'installe.
Les différences de comportement entre la FED et la BCE se lisent aussi
dans leurs bilans. La FED a environ 80% de son actif en titres d'état
ou d'agences fédérales achetés en propre contre environ
5% en pension (refinancement des banques) alors que le système agrégé
de la BCE a pour ces deux grandeurs respectivement 15% et 80%, c'est à
dire une structure inverse. La différence est essentielle car pour la
FED c'est la conséquence d'une action volontariste, alors que les banques
centrales européennes (dont la BCE) ne font que répondre passivement
aux demandes de refinancement des banques. Si le mauvais état de l'économie
fait que personne ne veut s'endetter, les banques ne se refinanceront pas et
aucune monnaie ne sera injectée dans l'économie, au plus grand
préjudice de l'activité. Or, sans un minimum de croissance, la
dette publique (mesurée par le ratio dette/PIB) a tendance à augmenter,
augmentation perçue négativement par la plupart des médias
et la tendance la plus libérale parmi les économistes, ce qui
a pour conséquence d'amplifier encore le climat de morosité et,
par là même, de concourir à une nouvelle détérioration
de la situation économique et budgétaire.
III - Les réformes essentielles
à engager
Desserrer le carcan du pacte de stabilité
Moduler les déficits autorisés en fonction de la conjoncture éc-nomique
car, en période de stagnation ou de faible activité, la baisse
des recettes accroît mécaniquement le déficit budgétaire.
Comme le précise Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, dans
son ouvrage (La grande désillusion, éd. Fayard p. 146) : "Depuis
Herbert Hoover, les économistes responsables ne disaient plus qu'il fallait
se focaliser sur ce déficit conjoncturel, mais sur le déficit
structurel - celui qui aurait existé si l'économie avait fonctionné
au niveau du plein emploi -". C'est ainsi que 3% en période
de récession entretient le marasme alors qu'un pourcentage identique
en phase de pleine activité peut être jugé excessif.
Eliminer les dépenses d'investissements du calcul des déficits
budgétaires
Tout entreprise privée ne comptabilise pas dans ses charges d'exploitation
ses dépenses d'investissements. Elles s'inscrivent à l'actif de
son bilan et viennent s'amortir sur une durée proportionnelle
à leur horizon économique. Pourquoi la comptabilité
publique déroge-t-elle à cette règle comme l'a récemment
souligné l'économiste Jean-Paul Fitoussi ?
Elargir
les missions de la BCE pour qu'elles soient comparables à celles de la
FED
Maîtrise des prix mais aussi développement de l'activité
économique et de l'emploi.
La
doter de moyens d'action suffisants,
Notamment de la possibilité de créer de la monnaie directement,
par exemple par l'opération d'open-market sur le modèle américain.
Définir la procédure et les critères de répartition
de cette création monétaire entre les divers pays de
l'Union, le but étant l'obtention d'une croissance optimum au regard
de la résorption du chômage, de la maîtrise de l'inflation
et des rattrapages nécessaires de niveaux de vie.
Faire rendre compte à la BCE de son action devant les instances
politiques de l'UE en l'obligeant à publier ses travaux et ses
décisions.
Repenser
les modalités d'attribution et de financement de l'aide au développement.
Pour disposer des capitaux nécessaires, face à l'immensité
des besoins à satisfaire dans le cadre des objectifs fixés par
l'ONU, recourir pour partie à une création monétaire
directe, en particulier par le biais des Droits de Tirages Spéciaux
selon les propositions de Georges Soros (Cf. Guide critique de la mondialisation,
éd. Plon, p.205 et s.)
IV - En conclusion ne pas surestimer
le risque inflationniste
Habituellement on objecte le risque d'inflation à toute politique monétaire
non orthodoxe. Or, l'expérience américaine récente infirme
cette thèse dès lors que la politique monétaire est conduite
avec intelligence. En fait, l'expansion monétaire ne peut se traduire
en inflation et non en croissance que s'il existe des causes concomitantes : hausse des coûts des matière premières, main d'œuvre
indis-ponible, goulots d’étranglement, concurrence
insuffisante, fuite devant la monnaie, et surtout exagération manifeste
dans la quantité crée (comme en Amérique latine ou en Russie,
il y a quelques années). Dans la mesure où la banque centrale
est partie prenante au processus, elle est parfaitement capable de discerner
les situations infla-tionnistes et d'interrompre les financements ou de prendre
des contre-mesures.
Lire ci-dessous l'annexe sur la différence d'approche "projet de
loi 157 / traité de Maastricht" sur la question de la régulation
monétaire.
Annexe
Les points de vue divergent sur l'opportunité d'un recours à la
création monétaire par la collectivité. Il n'est pas inutile
à ce propos de comparer un projet de loi présenté
en 1981 aux dispositions du traité de Maastricht.
Projet de loi 157
Ce projet fut déposé le 22 juillet 1981 par 45 députés,
dont Monsieur Pierre Mesmer, ancien premier ministre. Son effet, selon les dispositions
reprises ci-dessous, eut été de créer un montant suffisant
de monnaie centrale non rémunérée et de lier cette création
à celle des investissements collectifs de base indispensables au développement
économique.
Article premier
Le budget de l'Etat est présenté en trois parties :
1. Un budget fiscal de recettes et dépenses courantes. Ce budget
est obligatoirement équilibré.
2. Un budget bancaire de prêts de l'Etat à des agents économiques
privilégiés. Ce budget ne peut être financé que par
les ressources du Trésor. Ce budget est affecté à des investissements.
3. Un budget de croissance financé par une création monétaire
proportionnelle à la croissance du PNB. Ce budget est
affecté à des actions d'intérêt général
ou participe au financement du premier budget qui comporte dans ce cas une réduction
du prélèvement fiscal.
Article 2
Pour financer le budget de croissance dans les limites fixées annuellement
par la loi de finances, le gouvernement est autorisé à émettre
des bons du Trésor spéciaux. Ces bons sont vendus à la
Banque de France par le Trésor. Ces bons ne rapportent pas d'intérêts
et n'ont pas d'échéance.
Article 3
Le rapport entre les contreparties nationales ou internationales de la monnaie
et les contreparties dues à l'endettement est fixé annuellement
par la loi des finances. Ce rapport comporte une marge.
Le traité de Maastricht
L'article 104 interdit à la Banque centrale et à celles des
pays membres d'accorder tout crédit ou découvert aux institutions
ou organes de la communauté, aux autorités régionales et
locales et aux entreprises et organismes publics. Il est interdit également
aux premières d'acquérir les instruments des dettes de ces derniers.
L'article 104-1 permet toutefois aux banques centrales de mettre des liquidités
à la disposition des établissements publics de crédit,
mais dans les mêmes conditions qu'aux autres établissements de
crédit.
On note donc que la notion de source monétaire non rémunérée
est absente et qu'il n'est formulé aucun principe pour donner des fondements
à cette création de monnaie. Ces dispositions sont plus sévères
que celles imposées à la FED qui peut acquérir les instruments
de la dette publique.