Accueil du site Politique de Vie

L'enfant soleil et le fléau.

Nuit du 10 au 11 novembre 2004.

Denise Schneider

Publié le 29 août 2006


Marjorie, son fils Sulyvann, et moi, rendions visite à Michel, hier, l'après midi. Michel est un membre de notre association locale de défense de l'Environnement. Il vient d'etre amputé de sa jambe droite, en août dernier. Notre ami occupe depuis trois mois le centre de rééducation pour handicapés moteurs, à Charleville-Mézières. Demain, nous serons le 11 novembre. Michel sera à nouveau seul.

- Je cache mon jouet-révolver, maman décide doucement Sulyvann-Sussu -, avant d'entrer.

Le petit est inquiet à l'idée d'effrayer par mégarde une quelconque personne déjà en peine. L'enfant range prestement le gadget sous sa veste.

A huit ans et demi, Sulyvann est grave, profond comme le sont les enfants qui ont grandi en côtoyant la souffrance.

Sussu est un enfant soleil au coeur pur, un de ces enfants, comme celui du film le Seigneur des anneaux, devant rompre un cercle maléfique symbolisé par l'anneau.

Ce seront ces enfants à la mythique pureté qui viendront - qui viennent déjà - prêter allégance à toute une société. Celle-ci est si assoupie d'indifférence, d'ignorance, de dureté ; vautrée dans ses cloaques ! Or, l'aura d'un destin exceptionnel émane déjà de Sulyvann.

Il arpente le couloir du centre de rééducation avec légereté, discrétion. On devine la compassion du garçon devant ces portes ouvertes, devant ces lits de malades. Il croise les inévitables chaises roulantes et leurs occupants dans le long couloir.

L'enfant précède sa mère et moi. Il se fait petit devant la détresse humaine, lui-même trop léger pour son âge. Deux spécialistes ont relevé un trouble de croissance : il lui manque 10 cm et trois kilos, pour être au rang des enfants du même âge.

Cet enfant nous allège la vie, à tous, ici, avec son exquise douceur !

Michel est triste, sa plaie a été maltraitée lors de manipulations rudes. Tant que le moignon ne sera pas guéri, pas question de rentrer. Michel a été très courageux avant l'amputation et il attend de rentrer, stoïque et solitaire.

Son vieux chien est mort il y a deux mois. Lui aussi était seul, dans la maison au bout du chemin, dans le bourg pollué. La bête malade pressentait que le retour du maître serait trop tardif.

- Rien de tel, que d'être chez soi, rêve Michel.

Je pense aux forêts, ondulant sur les crêtes des Ardennes, devant la maison de Michel à présent handicapé.

Il s'est trempé, comme de l'acier, et vient de dépasser la soixantaine. Il a vécu simplement, de presque rien. Une usine du pays ne l'avait pas déclaré dans les registres officiels, il y a quelques décennies. Et l'autre usine, dépotoir de déchets industriels au coeur de son village - sous prétexte de recyclage - a corrompu l'environnement, y compris la santé publique.

- C'est une honte ! s'énerve le convalescent. Mon frère Alphonse, atteint de saturnisme, au bout de trois ans de boutique, est jeté dehors comme un malpropre ! Il a eu son licenciement sur son lit d'hôpital !

Michel désigne son moignon.

- Tu vois ma jambe, coupée, jusqu'à la cuisse... c'est du côté droit, du côté de mon rein malade, atteint à 50 %. Irréversible pour cause de saturnisme. Ils m'ont viré aussi. J'ai tenu 5 ans, dans cette boîte...

La "revalidation" n'est que très improbable. Michel nous montre sa jambe artificielle, au placard, objet louffoque, se disloquant, se déboîtant, entravant les chairs...

Michel fut un rouquin flamboyant à présent poivre et sel, avec encore un tempérament de feu. Il a vécu seul ces dernières années, dans sa ferme natale, après le décès d'Alphonse. Ce dernier célibataire vivait avec Michel également célibataire, comme d'autres hommes dans la région. Chacun des deux frères épaulait l'autre.

Il y a une vingtaine d'années, quand Michel fut illégalement licencié pour cause de saturnisme, cet exclu put survivre avec les indemnités de maladie de son frère. Puis il fallut vivre en élevant quelques vaches, l'étable accolée à la maison. Vivre avec les revenus de moins de 10 bovins, c'est la misère à notre époque.

La même usine a happé la vie des deux frères, au bourg. Ce bourg qui accepte que soit livrée de la chair humaine dans l'antre du faux recyclage exhalant ses miasmes sur le village et ses alentours.

Cette histoire est une légende devenue réalité.

Ici, comme ailleurs en France, un processus draculéen, sournois, impérieux, perdure depuis des décennies. Il faut perdre sa vie, pour la gagner.

La réalité dépasse la fiction. Certains acteurs - dont des salariés - se trompent parfois de rôle, et d'histoire. Le mythique emploi a rendu plus riches encore les voyous pollueurs et milliardaires de notre époque !!!

Les yeux vert-topaze de Michel flamboient de colère inassouvie. Il évoque cette grande aventure que nous partageons depuis 7 ans. Nous : les quatre dans la chambrée, sans compter les autres, au destin scellé par un fléau majeur.

Michel évoque - une fois de plus - son épopée, nous prenant à témoins. Nous nous sentons tous les quatre hors du monde. Ce monde qui ne décode plus ses clichés, une barbarie absolue. La réalité devient plus atroce encore. Les endormis devront souffrir, puisqu'ils ne voient plus l'esclavage qu'ils cautionnent, qu'ils adulent.

- Tiens, je t'offre une pierre, dit une petite voix douce.

Les mots sont un peu avalés et se bousculent. Sussu présente un cristal de roche, transparent. Le visage buriné de Michel se penche et capte les yeux d'ange de l'enfant, verts et purs, comme une pierre rare.

Le petit joue à présent, avec les pierres semi précieuses que nous venions de lui acheter en ville. Il nous écoute pendant une heure et demie sans s'impatienter et ne s'exprime plus que lorsqu'il s'agit de son petit chien. Sussu se blottit près de moi au moment où une paleur soudaine envahit son visage. Les vagues d'énergie de l'enfant sont incertaines. Quand les forces se dérobent, l'enfant se tait. Il n'a commencé à parler qu'à l'âge de quatre ans. Un orthophoniste, toujours nécessaire, devra tabler sur ces défaillances d'énergie.

Etrange rendez-vous ! Tous les quatre, dans cette triste chambre, avons subi des contaminations aux métaux lourds.

Michel a été le premier. Depuis 1985, il est frappé d'un saturnisme professionnel, non rémunéré, depuis des années. Pourtant ce saturnisme a entraîné une lésion néphrologique irréversible, avec une IPP à 50 %. Le professeur Chanard de Reims l'a dûment écrit.

Sussu a été contaminé dans le ventre de sa mère, selon notre toxicologue allemand. L'enfant ne parlait pas à deux ans et demi, quand le résultat d'une première analyse de la DDASS est tombé. Le petit avait près du double de la norme de cadmium dans ses urines. Il ne savait prononcer qu'un seul mot, à trois ans :


- Bobo.

C'était une plainte inquiétante, le visage de l'enfant rongé de cernes rougeâtres, d'une pâleur mortelle, d'une maigreur diaphane. Sussu désignait ses reins, et le bout de ses doigts. Je comprenais qu'il avait un symptôme similaire au mien : le bout des doigts, atteint de fourmillements, comme électrifié. Et les reins ! Le cadmium s'y incruste pour les détruire durant des décennies !

Les technocrates de la préfecture, frappés de surdité et cécité administratives, avaient fini par renier leurs propres résultats d'analyses, prétextant une erreur pour le cadmium de Sulyvann ! Un cas unique, on n'en fait aucun cas, dans l'administration.

Ce cas seulement est loin d'être unique, sur le site du bourg, et autres sites similaires...

La DDASS se contente, dans des cas de contaminations collectives comme le nôtre, de faire des prélèvements de sang ou d'urine sur une population donnée, toujours uniquement infantile.

Selon de vagues écrits sans lendemain, les femmes enceintes, autres sujets sensibles, devraient d'abord enquêter sur leurs teneurs de plomb, avant un "projet de grossesse". Ce projet n'est pas toujours programmé et le plomb loin d'être le seul métal lourd en cause.

Les symptômes, les lésions... sont des éléments simplement éludés, voire niés par la DDASS, et finalement par l'Institut de Veille Sanitaire. Ainsi fonctionnent nos organismes de santé publique, en France. Les symptômes sont désuets, seuls comptent les chiffres.

Quand un médecin allemand redoute pour Sulyvann un "crétinisme hypotyroidien"...

Marjorie plaisante avec Michel, ravi de cet interlude tonitruant. Je m'attends à un attroupement dans la chambrette ! Le tempérament de Marjorie se libère, se déploie en rugissements de vérités, parfois ponctués d' une grossièreté libératrice... ne masquant pas un grand coeur. La jeunesse de Marjorie ne fut pas tendre : mon amie s'est forgée elle-même. Elle véhicule et sème son trop plein de grande dame fragile, nantie d'un destin de pionnière.

Marjorie, après des années de doutes, de souffrances si typiques aux métaux lourds, a fini par réaliser ses propres analyses, il y a deux mois.

- Si les vaches ont des métaux, nous on en avons aussi ! avait- elle rugi selon un journaliste.

Mais elle s'est tue quand le verdict est tombé : les résultats d'analyses de selles, réalisées à Bremen, en Allemagne, sont - et seront pour des décennies - le signal renouvelé d'un immense combat contre des métaux louds incrustés dans les os.

D'abord l'enfant, puis la mère ! Et la mère atteinte contamine son bébé, avant la naissance. Un directeur de recherches de l'INSERM nous avait appris ce fait en 1999. C'était lors du tournage d'un documentaire réalisé par Mireille Dumas sur notre site.

- Tu te rends compte, il ne s'est pas trompé, notre toxicologue allemand, a compris Marjorie, comparant ses métaux lourds et ceux de son fils.

- Tous les deux, très au dessus du seuil. Nous avons du cadmium, du mercure, du zinc, du strontium... C'est quoi, ce truc ?

Certains de ces poisons peuvent être mortels ou rendre infirme. Le célèbre éco-toxicologue, le professeur Ramade, nous l'a écrit. On peut aussi craindre les maladies de dégénérescence, telles Alzheimer, Parkinson, avec de tels toxiques ! Sans parler de l'autisme ! Et le strontium ne dit rien qui vaille, déjà d'après le dictionnaire familial. Sur certains articles, ce serait un radioélément. Horreur !

Tu peux répandre la vérité au monde, Marjorie ! Tu as compris dès l'aube de notre aventure qu'il fallait prendre les armes ; je t'avais dit que tu étais une guerrière ! Certains cachent leur saturnisme et leurs enfants, parfois très gravement atteints par les toxiques modernes. Quoique le plomb soit une vieille affaire. Mais Marjorie, toi, tu as fait trembler les assises des gens indifférents, quand tu as clamé - rugi - ta détresse de mère, sur une chaîne de télé nationale. C'était il y a quelques années, déjà.

Je suis la quatrième de la chambrée, ayant conduit Marjorie et Sussu auprès de Michel. Je suis la présidente de notre association locale de défense de l'environnement. J'ai acheté ma maison à la frontière de Bourg-Fidèle, il y a 9 ans.

La prescience immédiate de l'alarmante gravité de la situation, à peine arrivée sur notre site, m'a saisie. On est génétiquement prédisposé aux intoxications - ou empoisonnements - par les métaux lourds et on en a parfois une compréhension viscérale, fulgurante.

Il m'arrive de m'exprimer en public, à la télé, ou pour la presse, afin de défendre notre affaire de métaux lourds.

Quand j'ai eu une crise aigüe, une attaque de métaux lourds début 1999, je savais déjà ce que les analyses ont confirmé par la suite. Je savais qu'il s'agissait d'un fléau de fin d'époque, d'une affaire aussi grave que celle de l'amiante. J'ai lutté, pour ne pas me suicider de douleur nerveuse, lors de cette crise inhumaine qui dura plusieurs semaines.

Ma vie ne sera plus jamais comme avant cet épisode qui m'a rappelé les crimes par empoisonnement. D'ailleurs, du temps de Louis XIV, on empoisonnait déjà au mercure et à l'arsenic, ces deux toxiques présents sur notre site.


Accueil du site Politique de Vie